Les compilations

Des promesses d'évasion sans pareil.

Des promesses d’évasion sans pareil.

 

Je fais partie de ces gens qui ne gardent pas beaucoup de souvenirs de leur enfance. Les choses se précisent aux alentours de 14 ans, mais tout est nettement plus confus auparavant. Pourtant, je me souviens ce samedi matin où je faisais du vélo dans la cour de notre immeuble, et où ma maman m’a appelé pour me dire qu’il y avait du courrier pour moi. C’était la compilation Les Hits de Océan, commandée quelques jours plus tôt, sans doute à Micromania via Minitel. Et c’était la promesse d’un week-end à découvrir de nouveaux jeux, alors que je n’espérais plus voir arriver le colis avant la semaine prochaine. C’est un beau souvenir.

 

Quand on parle de jeux Thomson, et quand on parle des micros des années 80 ou 90 en général, il faut parler des compilations. Elles étaient alors monnaie courante dans les ludothèques des uns et des autres, et même si les jeux uniques en boîte sont généralement plus cotés, il n’est pas rare de voir des compilations se vendre à des prix redoutables. Elles font partie du panthéon du jeu vidéo, d’autant plus qu’elles n’existent plus vraiment aujourd’hui. Certes, il y a des bundle Steam. Certes, il y a des offres duo (voire trio) sur consoles. Mais ce n’est pas la même chose, car bien souvent la compilation avait son identité propre, son univers à elle.

 

Le menu de la compilation Les Futuristes, et que de bons titres... !

Le menu de la compilation Les Futuristes, et que de bons titres… !

 

Bien sûr, il convient d’être prosaïque : le premier intérêt d’une compilation était d’acheter plusieurs jeux pour le prix d’un seul. Le calcul est vite fait : en 1988, Renegade version disquette se vendait 195 francs, soit tout de même plus de 55 euros d’aujourd’hui. Deux ans plus tard, la compilation Les Hits de Océan, qui contenait Renegade en plus de neuf autres jeux (dont Wizzball, Game Over ou Arkanoid) se vendait peu ou prou le même prix. Idem pour L’Arche du Captain Blood, 195 francs à l’achat… ou inclus en 1990 dans la compilation Les Futuristes 2 avec trois autres titres pour 210 francs. Bien sûr, le Thomson était alors en fin de course et les éditeurs bradaient tout ce qu’ils pouvaient, mais le principe de la compilation n’en était pas moins très avantageuse.

 

Autre avantage : les compilations permettaient de jouer à des jeux qui n’étaient simplement plus trouvables. À l’heure de Steam et plus encore de GOG (voire des abandonwares dans les cas les plus extrêmes), cette époque où l’on ne pouvait pas jouer à un jeu pour la bonne et simple raison qu’il n’était plus disponible nulle part semble autant absurde que révolue. Sans compter qu’acheter à distance était assez galère sans Internet, et que bien souvent le choix se faisait en fonction de ce qui était disponible en magasin, dans mon cas un Conforama. Si j’ai pu jouer à L’Aigle d’or ou à 5ème Axe sur mon TO8D, c’est bien grâce à une compilation de Loriciels. Idem pour Runway 2 ou Les Dieux du stade, côté Infogrames.

 

Sans doute la compilation la plus importante à posséder sur Thomson à l'époque.

Sans doute la compilation la plus importante à posséder sur Thomson à l’époque.

 

Mais pour revenir à mon propos initial, parce que digresser c’est mal, les compilations pouvaient devenir des entités à part entière, et pas juste une juxtaposition de titres sans âme. Évidemment, des compilations comme Les Hits de Océan ou Les Hits de Gremlin, avec leurs boîtes carrées toutes blanches, ne faisaient pas montre d’une exceptionnelle personnalité. Et l’espèce d’énorme compilation Mega Softs d’Infogrames, que je n’ai jamais connu enfant par ailleurs, est elle aussi assez moche. Mais bon, 32 jeux parmi lesquels Les Ripoux, les deux Passagers du Vent, Bobo ou Macadam Bumper, ça ne se refuse pas. Même si je n’ai pas réussi à retrouver à quel prix elle se vendait, il ne fait aucun doute que l’acheter devait être très avantageux.

 

Infogrames, cependant, s’est distingué par une série de très belles compilations, certes moins volumineuses mais bel et bien enthousiasmantes. Les Chevaliers, Les Aventuriers, Les Athlètes, Les Futuristes, Les Privés, Les Joueurs, Les Bandes dessinées… Autant de titres qui, avec leurs illustrations dédiées, donnaient presque une nouvelle dimension aux jeux qu’ils contenaient. Est-ce que j’aurais investi Sorcery de la même manière, sans cette illustration d’un château lugubre sur fond de pleine lune ? Est-ce que Saphir m’aurait autant plu sans ce visage d’aviateur en gros plan, semblant flotter dans l’espace ? Dans un temps où le joueur compensait les limitations techniques des jeux en ayant recours à son imagination, le packaging pouvait jouer un rôle insoupçonné.

 

Après, ne nous mentons pas au-delà du raisonnable, certaines illustrations n’avaient strictement aucun rapport avec les jeux compris dans la compilation. Les Héros est en cela exemplaire : représenter une silhouette humaine jouant avec des éclairs, dans une esthétique oscillant entre la science-fiction et le mysticisme, pour vendre Crazy Cars ou OK Cowboy, il fallait oser. Sur d’autres supports, c’était un peu la même chanson. Les Guerriers (pour Atari ST) et ses soldats dans la jungle n’évoquent que très moyennement Prohibition. Mais la boîte n’en est pas moins très classe.

 

Il y avait de quoi baver en voyant ce genre d'annonce dans les magazines.

Il y avait de quoi baver en voyant ce genre d’annonce dans les magazines.

 

Car le Thomson n’était évidemment pas la seule machine concernée par les compilations. On en retrouvait sur toutes les machines, et des compilations Amstrad comme Les Barbares ou Les Justiciers, même en reprenant les visuels des jeux respectifs, en jetaient à mort. Celle des Justiciers se vendait même avec un poster de son visuel, c’est dire. Bon, évidemment, on parle de compilations qui contenaient des jeux comme Barbarian II, Robocop ou Rambo III, ça motivait d’autant plus à les aimer. Parce que oui, même si j’adorais mon Thomson, j’étais vert de jalousie quand je voyais les jeux qui tournaient sur les CPC 6128 des copains.

 

Les compilations m’ont accompagné ensuite quand j’ai mis la main sur mon premier PC, un 386 SX qui m’avait permis de jouer (enfin) à Monkey Island grâce à la compilation Planète Aventure 2, ou aux Voyageurs du temps avec Les Maîtres de l’aventure. Des compilations qui, dans la foulée, m’avaient permis de découvrir Loom ou Operation Stealth. Inutile de dire que j’en garde un souvenir précieux, qui fait que j’en ai activement pourchassé les boîtes une fois que mes velléités de collectionneur se sont faites jour. Quitte à y mettre le prix, parfois exubérant. Mais bon, comme dit le dicton, on n’a jamais vu un coffre-fort marcher derrière un corbillard.

 

Je sais que je ne suis pas le seul, loin de là, à garder un souvenir ému des compilations de notre enfance. Pas plus tard qu’aujourd’hui, mon cousin me confiait celui qu’il garde de Double Action sur CPC, incluant Double Dragon et Daley Thompson’s Challenge. J’ai moi-même déjà évoqué la fameuse compilation Loriciels dans mon billet sur L’Aigle d’or, mentionnée au début de cet article, et qui me procure littéralement des frissons quand je la tiens entre mes doigts. Et j’en oublie sans doute encore. Plus que jamais, le concept des compilations appartient au passé. Et c’est pourquoi il convenait, je pense, de leur rendre l’hommage qu’elle mérite.

 

Je serais (peut-être) passé à côté de l'univers de Loom sans la compilation Les Maîtres de l'aventure.

Je serais (peut-être) passé à côté de l’univers de Loom sans la compilation Les Maîtres de l’aventure.

 

Et au passage, un grand merci à DCMOTO, Abandonware Magazines et Retro Magazine Search, sans qui cet article aurait été bien plus difficile à écrire et à illustrer. 

 

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