Vous connaissiez la Westphalie ? Moi non, je n’en avais jamais entendu parler avant de me pencher sur l’histoire de L’Aigle d’Or. C’est dans les confins de cette charmante ancienne région d’Allemagne que le jeu vous propulse, sur les recommandations dit-il d’un vieux mage. Et plus précisément dans un château où prospèrent des chauves-souris vampires et des fantômes belliqueux, mais suffisamment entretenu pour y trouver des torches allumées dans (presque) toutes les pièces. Votre mission : y récupérer l’Aigle d’or, le Diamant bleu et le Livre sacré. Et croyez-moi sur parole, es ist kein Kuchen !
Si vous avez connu les jeux vidéo dans les années 80, vous connaissez forcément L’Aigle d’Or. D’abord développé sur Oric en 1984, puis adapté pour le MO5 et l’Amstrad CPC, le jeu a marqué les esprits de la génération 8 bits. Pour ce qui me concerne, je l’avais découvert sur mon TO8D avec une compilation Loriciels regroupant, à ses côtés, Sapiens, MGT et Le 5ème Axe. Autrement dit, la compilation indispensable à avoir quand on possédait un Thomson, et la démonstration en quatre jeux de l’importance d’un éditeur comme Loriciels pour cette machine. Aujourd’hui encore, quand je tiens le boîtier de cette compilation entre mes mains, je ressens des frissons de nostalgie me parcourir le corps comme s’il était empreint d’une énergie particulière. Je jure que c’est vrai.
Reste que j’ai longtemps reporté le moment fatidique où j’allais devoir rédiger un billet sur L’Aigle d’Or. Il m’aura quand même fallu plus de dix ans pour évoquer l’un des plus grands classiques du Thomson. Et ceci pour une raison très simple : dans mes souvenirs, le jeu était extrêmement difficile. Or, avant de parler d’un jeu, j’essaye quand même de le finir ou, au moins, d’avancer dedans le plus loin possible. Je me suis donc armé de courage et de patience, j’ai mis de côté mon honneur en me préparant à tricher comme un malade avec la fonction sauvegarde de l’émulateur DCMOTO, et j’ai poussé la porte du méchant château westphalien la boule au ventre. Oui bon d’accord j’en rajoute un peu. Mais j’appréhendais quand même pas mal.
Il faut comprendre que, personnellement, les jeux de rôle et les Dungeon Crawler (ou équivalents) ne sont pas forcément ma tasse de thé. Il y a évidemment des exceptions, j’avais par exemple adoré Shining In The Darkness sur Mega Drive, mais en général je préfère les jeux qui ne nécessitent pas de faire des plans ou de mémoriser l’emplacement de chaque piège mortel. Et avec L’Aigle d’Or, pour faire un plan, vous n’êtes pas sortis de l’auberge. On en trouve plusieurs sur la Toile, et notamment sur le site de DCMOTO, mais le souci est que l’organisation des salles répond à une logique très relative, totalement dénuée de linéarité. Prendre une porte à gauche d’une salle ne vous fait pas forcément apparaître à droite de la salle suivante, et c’est un vrai foutoir à poser sur le papier. En cela, le jeu rappelle Marche à l’ombre, d’ailleurs.
Je ne gardais pas un souvenir mémorable des déplacements de notre personnage, aussi. Au final, il n’est pas aussi lent que je le redoutais. Par contre, il a cette fameuse manie à faire des pas en trop quand on lui demande de s’arrêter, quitte à se casser la figure dans des oubliettes dissimulées. On finit par s’habituer, mais L’Aigle d’Or a tout de même un joli petit potentiel en matière de crise de nerfs. J’avoue avoir exprimé bruyamment de l’agacement à plusieurs reprises, en particulier lorsque je savais que la fin du jeu était proche, et que l’envie de le terminer prenait le pas sur ma sérénité (pas du tout) légendaire. Soyons tout de même honnêtes : il y a bien plus beaucoup pire sur Thomson dans le domaine.
J’oubliais de dire que L’Aigle d’Or se joue entièrement au clavier, avec les touches directionnelles pour se déplacer, les chiffres pour sélectionner des objets dans son inventaire, et plusieurs touches pour effectuer des actions comme s’accroupir ou sauter, prendre, ouvrir, boire… ou même se suicider. Assez remarquable, me semble-t-il, de voir un jeu exploiter autant les possibilités du clavier en l’an 1985, mais je ne doute pas qu’il existe d’autres exemples. Les commandes souffrent d’une légère inertie, d’où la difficulté parfois de stopper son personnage au bon moment, mais cela ne rend pas pour autant le jeu impraticable. Cela nécessite surtout une certaine prise en main pour éviter quelques frustrations. En particulier dans les moments un peu nerveux du jeu. Ils ne sont pas spécialement nombreux, mais ils sont hautement stratégiques.
Après avoir abordé tous ces aspects pratiques, si l’on parlait du jeu proprement dit? En début de partie, L’Aigle d’Or a cette originalité de vous proposer de vous rendre soit chez le marchand du coin, soit directement dans le château. On s’en doute, le passage chez le marchand est obligatoire, pour y acquérir avec vos maigres ressources un pied de biche et une torche, les deux objets indispensables au début de votre aventure. Originalité toujours, il est possible de sortir du château et de retourner chez le marchand. Possible, et même indispensable, les torches et les pieds-de-biche ayant une durée de vie limitée. De plus, des cordes vous seront nécessaires pour progresser plus avant. Dès lors, après avoir mis la main sur les bourses disponibles dans certaines salles, il convient de retrouver la sortie (bon courage) et de procéder à quelques emplettes supplémentaires.
Le château est composé de 64 pièces, comme l’indique le jeu. Certaines comportent des pièges qu’une marque signale… sauf si vous avez le malheur de ramasser une bague qui traîne par terre, ce que j’ai évidemment fait sans savoir qu’elle faisait disparaître ces repères bien pratiques. Un parchemin est censé vous avertir de la chose, sauf que j’avais trouvé le parchemin après avoir trouvé la bague, et qu’en plus tout y est écrit en allemand, langue que je trouve magnifique mais à laquelle je n’entrave hélas überhaupt nichts. Ce n’est pas la seule surprise que vous réserve ce charmant château. Par exemple, vous y trouverez en quantité appréciable des fioles permettant de régénérer vos points de vie, tant et si bien qu’il n’est pas vraiment nécessaire d’en acheter au préalable. Sauf que l’une dans le tas est empoisonnée. Et merci encore d’être venu !
Ce n’est pas le seul moment où L’Aigle d’Or fait dans le sadisme. Quand une marque sur le sol vous indique une salle secrète accessible avec une corde, mais qu’il vous appartient de le deviner tout seul comme un grand, ou dans mon cas de l’apprendre via Internet. Quand une autre salle secrète est accessible via un trou dans le sol… mais que la salle en question est plongée dans le noir, et que vous vous retrouvez coincé si vous n’avez pas eu la bonne idée d’allumer une torche avant de tomber dedans. Et par dessus, le lot classique de fléchettes empoisonnées, de fantômes qui vous balancent des éclairs à la figure (à renvoyer à l’aide du crucifix), de chauves-souris qui vous mordent sans retenue et vous empoisonnent dans la foulée. Bref, celui qui, à l’époque, a fini le jeu sans aide et sans tricher mérite au moins la Légion d’honneur.

Dans la salle du Livre sacré, la plus difficile d’accès, malgré ce que laisse penser le titre du jeu.
Soyons franc, à l’occasion de ce billet, j’ai découvert des éléments de L’Aigle d’Or dont j’ignorais jusqu’au début de l’existence. À moins que ma mémoire me fasse défaut, ce qui reste une possibilité, je n’avais jamais vu auparavant les fantômes qui nous agressent, je n’avais jamais récupéré le Livre sacré ou l’Aigle d’or, ni même le Diamant bleu, quand bien même celui-ci n’est pas le plus difficile à trouver. Je ne suis même pas certain que j’avais conscience de ces trois objectifs. Je crois que l’enfant que j’étais, peu enclin à consacrer ses ressources intellectuelles à un jeu d’apparence assez austère, se contentait de se promener dans les salles du château en mode touriste, sans vraiment chercher à en comprendre la mécanique globale, et encore moins envisager d’en ressortir victorieux.
Parce que L’Aigle d’Or a tout de même une belle ambiance. Austère, certes, je le répète, mais envoûtante aussi. Ses quelques notes de musique et la silhouette inquiétante du château sous l’orage en introduction pose son ambiance. Les graphismes sobres, voire dépouillés (et parfois maladroits) participent à cette atmosphère ténébreuse. Le jeu n’est certainement pas le plus beau du monde, mais son esthétique est parfaitement équilibrée, à défaut de trouver un meilleur terme. Le portage sur Amstrad CPC, avec sa musique tape-à-l’oreille et ses graphismes supposément améliorés, apparaît d’ailleurs bien plus moche que la version Thomson.
Finir L’Aigle d’Or, même en trichant éhontément et en m’aidant d’une vidéo sur YouTube, m’a rempli d’un certain contentement. Non que je sois fier de mes compétences de gamer, elles n’ont guère été sollicitées, mais parce que j’aurais au moins connu la joie de voir l’écran de fin d’un jeu dont je partais du principe qu’il n’avait pas vocation à être battu, tant il est retors. Le tout en explorant plus en avant ce château dantesque et les mystères qu’il recèle. L’occasion de me rendre compte par moi-même de la richesse et de l’inventivité d’un classique d’entre les classiques, d’autant plus impressionnant qu’il est la création d’une seule et même personne. À savoir le tout jeune Louis-Marie Rocques, futur fondateur de Silmaris, avant de se tourner vers la simulation hardcore avec Eversim et ses Geo-Political Simulator. D’un labyrinthe semé d’embûches à un autre, en somme.
La Westphalie c’est surtout un terroir qui produit un excellent jambon sec parfait pour la raclette !
Information qui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd !