« Égaré dans la vallée infernale, le héros s’appelle Bob Morane »… Oui j’ai bien conscience qu’une citation d’Indochine pour débuter un article sur Bob Morane n’est pas très originale. Mais ce n’est pas totalement hors-sujet non plus, puisqu’il se dit que la chanson et son succès sur les ondes ne sont pas étrangers à l’envie d’Infogrames de consacrer pas moins de trois jeux au personnage de Bob Morane à la fin de l’année 1987.
Des éditions retentissantes au demeurant, puisque les logiciels étaient vendus avec des « Bob Morane magazine » co-édités par Infogrames et Glénat, comportant un roman, une BD et autres jeux de rôles ou guides. Bref, une grosse opération marketing lancée sur Thomson, Amstrad, Atari et PC, qui ne rencontra pas l’engouement escompté. D’une part peut-être parce que le personnage de Bob Morane ne parlait plus à grand monde. D’autre part sans doute parce que les jeux n’avaient pas forcément de quoi susciter un enthousiasme délirant.
Disons le mot : lorsque j’étais gamin, Bob Morane était quasiment synonyme de mauvais jeu. Ce qui ne m’empêchait pas, via la magie des compilations, de posséder les trois dans ma ludothèque, à savoir Bob Morane Chevalerie, Bob Morane Jungle et Bob Morane Science-Fiction. Sorti un peu plus tard, le Bob Morane Océans ne fut pas porté sur Thomson, quand bien même certains laissent entendre que le projet était dans les tuyaux. Une histoire similaire à celle de Opération Jupiter ? Ce serait cocasse, puisque Bob Morane Océans est sorti à l’international sous le titre… Operation Neptune.
Premier jeu de la série, même si l’ordre est un peu arbitraire, Bob Morane Chevalerie nous ramène au moyen-âge, ce qui explique sans doute la qualité de ses graphismes (gag). Envoyé au XIIIème siècle dans un château du Comté de Savoie, Bob Morane a pour mission de retrouver le Saint-Suaire et de le mettre sous bonne garde avant que l’Ombre jaune ne le détruise. Pourquoi l’Ombre jaune veut-elle détruire le Saint-Suaire ? Vous lui demanderez vous-même, le manuel ne le précise pas.
En revanche, ses auteurs avertissent le joueur : « Nous ne vous cachons pas que vos chances de réussir sont proches de 0 % ». Ah tiens, qu’est-ce qui leur fait dire ça ? Peut-être le fait qu’on envoie un type seul, en chemise et en jean, combattre les dizaines d’ours, de sorciers et de soldats en armures qui peuplent les dédales du fameux château ? À moins qu’ils aient essayé deux secondes le mode de combat du jeu, et compris que personne n’aurait jamais la patience de venir à bout d’un truc pareil.
Pour faire simple, Bob Morane Chevalerie consiste à se déplacer dans les différentes pièces du château en cherchant désespérément quoi faire. De temps en temps, ouvrir un coffre ou une armoire donne accès à un objet dont l’usage ou l’utilité ne sont indiqués nulle part. Il est visiblement possible de donner des objets aux personnages, mais ceux-ci ont surtout tendance à vous agresser dès qu’ils vous aperçoivent, vous empêchant de progresser et vous poussant au combat à chaque fois.
Et le combat, c’est bien LE point qui rend Bob Morane Chevalerie injouable. C’est déjà assez chiant de se promener dans un labyrinthe sans savoir quoi faire, mais il faut en plus affronter une ribambelle d’ennemis qui ne cessent d’affluer sur votre chemin. Comment se battre ? En maintenant le bouton action appuyé, et en faisant aller le joystick de droite à gauche. Super pratique avec un joypad quand on joue sur émulateur. Mais même quand on use des touches prévues pour le clavier, le résultat n’est guère plus concluant. (Petite édition du billet : une fois testé dans les conditions réelles, le résultat est encore pire).
En réalité, après plus d’une heure de jeu, je ne comprenais toujours pas comment faire pour réellement battre les ennemis. Par moment l’action fonctionnait et j’en venais à bout, quand l’instant d’après la même manipulation échouait lamentablement. Au clavier, même en appuyant comme un fou sur les touches idoines, le résultat est tout aussi décevant. Or, chaque tentative de combat ratée vous fait perdre de la vie. Au final, ce ne sont donc même pas les ennemis qui vous tuent, mais ce mode insane et bugué de combat.
Enfin je parle de tuer, mais Bob Morane ne meurt jamais vraiment : lorsque sa barre de vie atteint son seuil minimum, le voici transporté dans une bulle qui traverse quelques pièces du château avant de le renvoyer au XXème siècle. « Vous voyant en mauvaise posture, je vous ai ramené avec la bulle du temps », nous dit alors le colonel Graigh. C’est gentil colonel, mais sinon vous ne voulez pas allez le chercher vous-mêmes, votre putain de Saint-Suaire à la con ?
J’ai toujours trouvé ce système de faire aller le manche de son joystick de droite à gauche profondément nul. C’est crevant pour les mains, désastreux pour la manette et totalement aléatoire en matière de résultat. Mais Bob Morane Chevalerie bat tous les records dans ce domaine. C’en est difficile de décrire précisément ce qui rend ce mode de jeu si insupportable : il faut l’essayer pour le croire. J’ai beau avoir de la patience pour les jeux retro, je me suis surpris à hurler à plusieurs reprises devant mon écran.
Bob Morane Chevalerie a pourtant quelques bons points. Je note ainsi la qualité des animations de ses personnages, quand bien même la lourdeur de la physique du jeu, la grossièreté des graphismes et la terne amplitude des couleurs ne les mettent pas en valeur. Comme Infogrames le faisait parfois, la fenêtre de jeu n’occupe qu’une minuscule part de l’écran, occupé autrement par un large visuel. Une réduction d’espace qui permet une certaine fluidité, mais demande aussi de se crever les yeux pour y voir quelque chose dans la bouillie de pixels à laquelle on assiste quelquefois.
Je ne dis pas que le jeu est le plus moche de la gamme Thomson. S’il était plus jouable, ou jouable tout court d’ailleurs, je serais même sans doute plus charitable avec ses graphismes tant on a vu pire. Mais il suffit de voir les captures d’écran pour se rendre compte que le tout manque cruellement de clarté. Et ne donne guère envie d’explorer le château, surtout quand toutes ses pièces se ressemblent et que l’on erre sans fin dans des dédales infinis, le tout dans un silence assourdissant puisque l’environnement sonore du jeu est proche du zéro absolu.
J’ai vraiment essayé de comprendre le jeu, mais j’ai fini par renoncer. L’afflux des ennemis et le mode de combat rend la progression par trop difficile, même en trichant éhontément avec la fonction sauvegarde de l’émulateur. L’absence d’indices, et simplement le caractère profondément austère du soft en général ont achevé de me dégoûter. Après plusieurs tentatives, beaucoup d’échecs et trop d’impasses, j’ai juste laissé tomber. Tout en me demandant comment Tilt a bien pu mettre une note de 15 à ce navet.
Adieu le XIIIème siècle, bienvenue dans la jungle « au pied de la Cordillère des Andes ». Car c’est dans ce décor que se déroule le bien-nommé Bob Morane Jungle, où notre héros laisse tomber le Saint-Suaire pour voler au secours de son ami Bill Ballantine, prisonnier de l’Ombre jaune. Au passage, vous en profiterez pour récupérer « le trésor des Chibchas ». Parce que bon, visiter des temples précolombiens sans faire un peu de pillage, ce ne serait pas de vraies vacances.
De prime abord, Bob Morane Jungle fait assez penser à son compère médiéval. Une fois encore, la fenêtre de jeu n’emplit qu’un tiers de l’écran, le visuel ayant toutefois une fonction pratique puisqu’il permet de suivre l’état de santé de son personnage. Ainsi, quand Bob Morane commence à se sentir mal en point, son visage affiche un œil au beurre noir et des saignements de nez du plus bel effet, du moins pour qui aime le sang orange.
Sinon, le joueur continue à diriger un Bob Morane vu de profil, qui se promène dans des décors dénués d’indications ou d’indices, tout en croisant sur son chemin une cohorte d’adversaires à affronter : serpents, araignées géantes, autochtones belliqueux et même une sorte de boule volante translucide dont je me demande ce que c’est censé représenter. Aucun doute, les deux jeux sont donc très similaires… à quelques exceptions près qui font toute la différence.
La première, c’est que les décors et les graphismes ont beau être toujours aussi brouillons, Bob Morane Jungle est tout de même nettement plus agréable à jouer de par son caractère verdoyant et coloré. L’exploration oscillant entre jungle et temple antique, le jeu propose une petite diversité d’ambiances, dont le caractère répétitif est tout de même nettement moins rédhibitoire qu’avec Chevalerie. Globalement, y compris d’ailleurs dans le design des ennemis, le soft est nettement plus joli tout en se montrant au passage bien plus fluide.
Deuxième différence : le mode de combat. Je sais que je commence à être chiant avec ça, mais les développeurs de Jungle ont eu la bonne idée de mettre en place des combinaisons de touches nettement plus pratiques que le système à la con de Chevalerie. Des parades, des coups pouvant être portés en haut, au milieu ou en bas… et au final des affrontements dont on parvient la plupart du temps à sortir vainqueur. Il faut juste être patient : comme rien n’indique si un coup marque son but ou non, il convient d’essayer plusieurs combinaisons avant de voir laquelle fonctionne.
À noter, une fois encore, que Bob Morane ne meut jamais non plus dans cet épisode. Une défaite vous renvoie automatiquement vers un écran représentant l’aventurier en train de bécoter une infirmière tandis que son ami Bill Ballantine lui apporte des fleurs. Le même Bill Ballantine à qui l’on est pourtant censé sauver la vie, et qui a visiblement su se libérer tout seul avant de faire un détour chez la fleuriste. Il convient dès lors de saluer l’optimisme des concepteurs du jeu, qui ont poussé la positive attitude jusqu’à transformer leur game over en happy end.
Je ne veux pas trop me montrer élogieux envers Bob Morane Jungle : s’il est meilleur que Chevalerie, c’est aussi que ce n’est pas très difficile. Mais le jeu souffre là encore d’un certain manque de lisibilité. Comme je l’ai écrit précédemment, aucun indice ne vous aide dans votre progression, et bien souvent vous promènerez votre héros au hasard de tableau en tableau sans avoir la moindre idée de la direction que vous êtes censé prendre. Quant au radar indiquant la disposition et la proximité des ennemis, je n’ai vraiment pas réussi à en saisir l’utilité profonde.
Le plus amusant dans cette histoire, c’est que j’ai quand même fini le jeu. À force de parcourir les temples, de faire sauter les murs à la dynamite pour progresser et de courir dans tous les sens, j’ai fini par atterrir dans une pièce ou Bob Morane se retrouve confronté à un clone de lui-même. Après être venu à bout de ce dernier adversaire, l’écran de fin m’est apparu sous les yeux. La situation a quelque chose de savoureux : le joueur médiocre que je suis ne termine pas souvent des jeux sans aide extérieure, et encore moins par surprise comme cela.
Au final, Bob Morane Jungle est un jeu assez moyen mais qui se distingue par son ambiance colorée, même si encore une fois un petit environnement sonore n’aurait pas été de trop. Le tout est assez fluide, parfois nerveux, et si la progression est totalement aléatoire du fait de l’absence d’indices, elle ne vient pas constamment se heurter à des ennemis insurmontables comme c’est le cas de Chevalerie. Ce n’est certes pas le genre de jeu pour lequel on sacrifiera plusieurs heures de sa vie, mais on lui consacrera tout de même quelques minutes sans remords.
Changement radical de lieu, de temps, d’ambiance et de style avec Bob Morane Science-fiction. Le jeu est en réalité tellement différent des deux autres que j’ai même, pendant longtemps, pensé ne pas l’inclure dans ce billet. Consacrer un article à deux jeux est déjà casse-gueule, mais alors trois… Le souci, c’est que Bob Morane SF est sorti en même temps que ses deux congénères, et cela semblait dès lors peu logique de faire l’impasse dessus. Pourtant, il n’y a pas énormément de choses à en dire, ce qui est paradoxal puisque c’est aussi sans conteste le meilleur de la série.
Fini le personnage vu de profil et la fenêtre de jeu sur un tiers de l’écran : Bob Morane Science-fiction est un jeu en vue subjective, dans lequel le joueur dirige un viseur avec lequel il doit trouver et tuer ses ennemis avant que ceux-ci ne fassent feu. Un décompte lui indique le temps qu’il lui reste pour débusquer le gredin dans le décor, tandis que la barre espace lui permet de se mettre à couvert. En gros, vous l’avez probablement compris, Bob Morane SF est un pur copié-collé de Prohibition, transposé dans un univers futuriste.
Un copié-collé au demeurant très talentueux. À défaut d’être original, le jeu est vraiment beau avec son environnement lunaire où se mélangent la pierre et le métal, tandis que l’on dégomme à tout-va des humains, des drones ou des monstres qui semblent tout droit sortis d’une production Roger Corman. Le jeu est nerveux, les commandes réagissent au quart de tour, bref le tout se joue avec un plaisir non dissimulé. Ce qui, encore une fois, le distingue franchement de ses petits camarades.
Un regret, toutefois : Bob Morane SF souffre d’une durée de vie assez courte. Au bout de quatre niveaux, qui ne posent guère de difficulté, le jeu revient à son début pour former une boucle parfaite. Quelques niveaux de plus, une difficulté croissante venant réellement défier le joueur et, in fine, un écran de fin auraient sans doute été les bienvenus. En particulier quand le soft lui-même se distingue par un certain dynamisme narratif, avec notamment l’ajout de petites animations entre les niveaux qui ne sont pas monnaie courante sur Thomson.
Drôle de destin que celui de Bob Morane au sein de l’industrie vidéoludique. Le héros de roman, de BD et de films n’aura pas su s’imposer comme un personnage de jeu vidéo à part entière, malgré un lancement tous azimuts de la part de l’éditeur français le plus influent du moment. Pire encore : plombé par son épisode Chevalerie dont le résultat n’est clairement pas à la hauteur de ses ambitions, Bob Morane sera relégué dans la catégorie des ratages d’office, quand bien même Jungle et Science-fiction méritent un traitement nettement plus bienveillant.
Bob Morane est aussi l’incarnation d’une autre époque, où les tocades d’un PDG pouvaient aboutir à une grande campagne commerciale chargée de vendre trois jeux en même temps, consacrés à un héros dont personne n’avait jamais vraiment rêvé. Aujourd’hui ou seuls les indés osent encore prendre des risques, pendant que les grands éditeurs développent des Star Wars qui ressemblent à s’y méprendre à d’énièmes resucées d’Uncharted, difficile de ne pas ressentir (quitte à caricaturer légèrement les choses) comme une petite pointe de nostalgie.
J’ai lu trop vite la dernière ligne, ce qui m’a fait penser «Mince, le créateur du JEU avait presque 70 ans quand il l’a programmé» 😀