
Si l’écran titre du jeu en jette à mort, la musique n’est franchement pas terrible, même pour un Thomson.
Au mépris de la trêve en vigueur lors du Carnaval de Venise, le membre d’une société secrète vénitienne a assassiné votre femme, Renata. Corrompue jusqu’à la moelle, la police ne vous sera d’aucune aide. Il revient à vous, Enzo, de braver la menace en parcourant les rues de Venise, d’assommer des gens pour les dépouiller, de les soudoyer, les menacer ou les droguer pour obtenir l’identité de l’assassin, puis d’abattre ce dernier d’une balle dans la tête. C’est qu’on a le sens de la justice en Vénétie !
Tout ce que je viens de vous raconter, il faut quasiment le deviner par soi-même. Masque + ne prend pas vraiment la peine de contextualiser quoi que ce soit : excepté le petit texte au dos de la boîte et un laconique « venger votre femme » comme objectif indiqué dans le manuel, le jeu vous met dans le bain sans attendre. Au sens propre du terme, puisque vous commencez votre aventure dans le Rio di Palazzo. En plein milieu du canal. Et ensuite, vogue la gondole !
S’il faut parler du contexte, précisons que Masque, la première mouture de Masque + sortie sur CPC, proposait avec son manuel une petite bande dessinée qui nous en disait un peu plus sur l’histoire, et d’où j’ai tiré certains éléments de mon résumé. J’ai pu la lire grâce au site CPC Power qui a eu la gentillesse d’uploader le manuel, et sur les bons conseils de Rhod, grand blogueur devant l’éternel. Sauf erreur, si l’on en croit le livret trouvable (comme toujours) sur DcMoto, les possesseurs de Thomson n’avaient, pour leur part, pas droit à la fameuse BD.

Je ne suis jamais allé à Venise, mais je suis à peu près certain que la place Saint-Marc est un peu plus animée que ça, surtout en période de Carnaval.
Mais la question du scénario n’est pas la seule à poser question. Après tout, dans l’immense majorité des cas, on se fout totalement de ce que les jeux racontent tant qu’on peut sauter sur des plateformes et libérer des princesses, ou l’inverse. En revanche, avoir quelques informations sur la façon de jouer ne serait pas du luxe. Et si le manuel nous explique le sens des icônes a notre disposition ainsi que des statistiques de notre personnage, et nous donne même des petits « trucs et astuces », il oublie juste de nous dire comment se joue le jeu auquel nous sommes censés jouer.
À force de tâtonner et, surtout, de regarder sur Internet comme un marteau, on finit tout de même par comprendre à peu près le mécanisme. Donc, Masque + consiste à se déplacer de tableaux en tableaux, le tout en croisant des personnages avec lesquels plusieurs actions sont possibles. Le but consiste à se procurer une arme, une seringue avec du sérum de vérité, et obtenir le nom de l’assassin pour le descendre. Et tout cela en papotant avec les gens, ou en les étalant par terre au besoin afin de leur faire les poches. Un dimanche classique, en somme.
Rien que de très facile, me direz-vous pour peu que vous soyez un peu bizarres. Mais les assassins de votre femme sont sur vos traces, et une barre de menace progresse à mesure que vous vous déplacez dans Venise. Pour y remédier, il convient de vous procurer des masques qui, une fois sur votre visage, ramènent le degré de menace à zéro. De plus, chaque masque a un effet sur les statistiques de votre personnage, notamment en matière de crédibilité. Autre menace sous-jacente : votre prodigieuse versatilité. Au bout d’un moment, du moins en théorie, l’envie de venger votre femme se dissipera purement et simplement.
Masque + propose donc une petite promenade dans quelques sites remarquables de Venise au moment du Carnaval, en mode un peu Covid tout de même puisque les rues sont désertes à l’exception de quelques bonhommes et bonnes femmes masqués. Avec son noir et blanc rigoureux et sa quasi-absence d’ambiance sonore, le jeu déploie une atmosphère vraiment à part, que renforce le décor d’une Venise étrangement vide d’habitants et de touristes. C’est évidemment le point fort du jeu, et c’était d’ailleurs le point fort de la toute jeune Ubi Soft qui avait également édité Zombi, là encore marquant pour son ambiance.
Je gardais un excellent souvenir de Masque +, j’y avais beaucoup joué sur mon To8D, à parcourir les rues et à essayer de parler avec les gens. Je me rappelle aussi que je parvenais à finir le jeu, ce qui m’a quelque peu impressionné près de 40 ans plus tard quand, une fois de nouveau devant, je n’avais juste aucune idée de ce que j’étais censé faire. Quelques indices glanés à droite et à gauche m’ont rappelé la mécanique générale mais, a-priori, j’avais tout compris par moi-même lorsque j’étais pré-adolescent, et ça n’avait pas dû être de la tarte.
Maintenant, en vieil aigri de la vie que je suis, je dois tout de même faire un tour au rayon des déceptions. Dans mon esprit et mes souvenirs, Masque + était un jeu qui offrait une certaine liberté au joueur, une sorte de monde ouvert relativement dynamique, avec de nombreuses interactions avec les personnages. En vérité, tout repose avant tout sur des apparences. Le jeu est beaucoup moins profond qu’il n’en a l’air, la communication avec les PNJ est très limitée, et un certain nombre de caractéristiques du programme sont tout simplement inutiles, voire déficientes.

Si la galerie des personnages de Masque + est importante, ceux-ci se distinguent peu les uns des autres, exception faite de cet étrange Equinox, qu’il est impossible d’assommer et, donc de voir sans son masque. Si vraiment il en porte un…
D’abord, le mode de dialogue avec les différentes personnes que vous pouvez croiser est, en apparence, vraiment intéressant. Le jeu vous propose de taper directement vos phrases, et le personnage répond en conséquence. Pour l’époque, et sur Thomson, c’est franchement moderne. Le souci, c’est que vos interlocuteurs ne comprennent pas 95 % de ce que vous leur dites, et répondent souvent à côté. Je n’attends pas d’un soft de 1989 qu’il dispose de l’aisance d’un outil conversationnel d’aujourd’hui, mais quand les dialogues nécessaires pour terminer le jeu se résument à une poignée de questions, je me dis que cette mécanique relève un peu de l’esbroufe.
Il en va de même pour les masques. Dans le jeu, vous pouvez en récupérer quatre, et chacun d’entre-eux modifient donc vos statistiques. Sauf qu’en réalité, un seul masque est réellement nécessaire : celui qui vous assure une crédibilité au maximum, et facilite donc grandement la communication avec les PNJ. Là encore, la mécanique est donc bien moins ambitieuse que sur le papier.
Notons d’ailleurs que les statistiques elles-mêmes n’ont pas un grand intérêt. La nervosité, par exemple. s’il est trop nerveux, votre personnage est censé ne plus pouvoir viser correctement. J’ai fait plusieurs tentatives : douze tasses de café et quinze canettes de Red Bull ne l’ont jamais empêché de dégommer l’assassin. Quant au décompte de « souvenir », à la fin duquel vous perdez le goût de la vengeance, il ne diminue simplement jamais. Quoi qu’il arrive, le meurtre de votre femme fait de vous un atroce rancunier. À noter encore, au passage, qu’il est impossible de se soigner, ce qui est un peu surprenant. Bref, le jeu n’est clairement pas à la hauteur de ses promesses.

Chaque masque influe sur les caractéristiques du héros, mais un seul en fait est réellement utile. Ce n’est pas celui-ci, même si c’est le plus joli des quatre.
Est-ce que le souci vient du portage sur Thomson, ou du fait qu’il s’agit de Masque +, et non de Masque tout court ? Si j’ai bien compris, Masque + est une version améliorée de Masque, sorti en 1987 sur Amstrad CPC, et qu’un bug empêchait d’accéder à la fin. Un Masque + a donc été édité, parce qu’il n’y a pas de petits profits, avec portage sur Atari et Dos et, assez tardivement en 1989, sur Thomson. Mais au-delà de régler un bug, Masque + semble largement atténuer la difficulté du soft original.
Pour avoir testé Masque sur CPC, et même au-delà du fameux bug, force est de constater que la difficulté est plus corsée. D’abord parce que le nombre d’objets à trouver pour mener à bien sa vengeance est un peu plus important. Ensuite, et surtout, parce que le décompte du souvenir est bel et bien activé, ce qui ne laisse guère de temps au joueur pour flâner dans Venise. Mais en-dehors de cela, la mécanique générale reste exactement la même, avec son petit lot de frustrations.

Les dialogues avec les PNJ sont assez limités, mais au moins on peut s’amuser à les insulter. Il convient de s’excuser ensuite, sinon ils vous envoient à l’hôpital.
J’aimerais tout de même atténuer la sévérité de ce billet. Parce qu’encore une fois, je garde de très bon souvenirs de Masque +, et j’y suis revenu sans aucun déplaisir. Le jeu vaut vraiment pour son ambiance, et plus généralement pour le voyage qu’il nous offre dans une Venise à la fois majestueuse et inquiétante. Pour quelqu’un qui n’avait (et n’a toujours pas) vu la cité des Doges, c’est évidemment porteur de beaucoup de symbolique. Ambiance renforcée par ces personnages masqués que l’on rencontre, même s’ils n’ont pas de personnalités réellement distinctes et sont un peu interchangeables.
Et si j’ai beaucoup critiqué ce mode de communication un peu déficient, et le fait que seules quelques phrases suffisent pour finir le jeu, l’honnêteté me pousse à reconnaître que Masque + n’était pas le seul à offrir plus qu’il ne promet. Si l’on prend l’exemple d’un Captain Blood, pourtant chef-d’œuvre vidéoludique, force est de constater que, là aussi, les nombreuses options de dialogue proposées étaient inutiles pour les trois quarts d’entre-elles. À cette époque où chacun devait composer avec des limitations techniques, faire appel à l’imagination du joueur quitte à miser sur les illusions n’avait rien d’un crime. Non, les jeux ne vous permettaient pas de tout faire, mais certains donnaient cette impression, et c’était déjà beaucoup.
Enfin, Masque + est le témoignage des débuts d’Ubi Soft, alors tout jeune éditeur français. 20 ans après Masque et Masque +, en 2009, Ubi Soft allait d’ailleurs revenir à Venise avec le deuxième opus de ses Assassin’s Creed, auquel j’avais plaisamment joué quelques heures sur ma PS3 avant que le jeu ne me tombe finalement des mains. Un remake de Masque, en mode aventure-RPG avec un zeste de monde ouvert et des capacités conversationnelles plus développées, n’aurait-il pas été de meilleur aloi ? Après tout, on peut toujours rêver… et même y croire pour 2029.

L’écran de fin du jeu, avec la belle coquille qui fait bien. Et ensuite, c’est retour au Basic. Aussi expéditif que le sens de la justice de notre personnage.
Toujours un plaisir de lire à chaque nouveau test ! Ce jeu m’avait tapé dans l’œil à l’époque, mais hélas, ne possédant qu’un simple MO6, je ne pouvais pas me le procurer. Quoi qu’il en soit, c’est à chaque fois un vrai plaisir de te lire et de redécouvrir tes bons souvenirs d’un Thomsonaute passionné 🙂
Merci beaucoup pour ce retour ! C’est vrai que, malgré toutes mes réserves, le jeu a laissé un souvenir marquant dans mon enfance. 🙂
Je ne connaissais pas ce jeu. Ca donne envie d’y jeter un œil. Merci pour ce billet de blog.
Merci Sam, si tu as l’occasion de le tester, je suis curieux de savoir ce que tu en as pensé !