Deux Whittaker ont marqué l’histoire du jeu vidéo des années 80. David Whittaker d’abord, prolifique compositeur qui a notamment signé les thèmes de Shadow Of The Beast, Xenon et Xenon 2, Zombi, Rampage et Renegade (versions Atari) ou encore Speedball. Et puis Maria Whittaker, qui figure sur les visuels de Barbarian et Barbarian II… et c’est (presque) tout. Et pourtant, elle demeure probablement bien plus présente dans les mémoires de nombre de joueurs de l’époque que son illustre homonyme.
Cela fait longtemps, très longtemps même, que j’ai envie de rédiger un petit quelque chose sur Maria Whittaker. D’abord, évidemment, parce que je fais partie de ces gens qui ont été marqués par elle durant leur adolescence. Ensuite, parce que mes instincts nostalgiques m’ont lancé dans une (petite) collection des nombreuses apparitions de la modèle, tout comme ils m’ont amené à en apprendre plus sur elle. Maintenant que la fièvre est un peu retombée, c’est le moment idéal pour en faire quelque chose avant de tourner la page.
Autant le dire tout net : je suis personnellement convaincu que Maria Whittaker est l’une des plus belles femmes à avoir foulé le sol de cette planète, et même la plus belle femme, en tant que personnalité publique, des années 80. Si j’insiste sur les eighties comme cela, c’est parce que c’est principalement durant cette décennie que Maria a exercé son métier de modèle, et plus précisément de pin-up professionnelle. D’abord dans les fameuses « Page Three » du Sun, avant de figurer à l’intérieur d’une quantité de revues de charme, ainsi que sur un nombre impressionnant de couvertures.
C’est donc assez naturellement que Maria Whittaker s’est retrouvée pixelisée dans des strip-poker d’assez basses exploitations. Tout comme sa prédécesseuse et rivale Samantha Fox avec Samantha Fox Strip Poker, Maria figure ainsi en vedette d’un Maria’s Christmas Box dans lequel elle apparaît en tenue de Mère Noël. Elle est également présente dans un Cover Girl Strip Poker, réunissant plusieurs de ses congénères. Je n’ai pas eu le courage d’essayer ni l’un, ni l’autre, tant ces jeux ont l’air d’une médiocrité confondante. Un (excellent) article de Planet Emulation dédié à Christmas Box semble indiquer que j’ai bien fait.
Ce ne sont pas ces jeux de cartes sans saveur qui ont, de toute manière, assuré la popularité de Maria Whittaker auprès des jeunes joueurs des années 80, mais son apparition sur la pochette de Barbarian en 1987. Plus précisément, Barbarian The Ultimate Warrior de Palace Software, puisque Psygnosis avait eu la bonne idée de sortir un Barbarian au même moment. Soucieux d’assurer une promotion aguicheuse de son jeu, déjà remarquable par sa violence et son humour noir, le créateur Steve Brown décida d’embaucher le culturiste Michael Van Wijk et, donc, Maria Whittaker pour prendre la pose sur les boîtiers. Parce que oui, à l’époque il y avait des boîtiers. Et Steam, c’est du caca.
L’opération fut un succès autant que le jeu, car rien de tel qu’un parfum de scandale pour assurer sa promotion. Évidemment, une fois encore, les esprits se sont échauffés pour pas grand chose. La violence du jeu réside surtout dans la possibilité qu’il offre de décapiter son adversaire, ce qui n’avait pas franchement traumatisé le jeune adolescent que j’étais. Quant à Maria, la jeune femme s’affiche certes en petite tenue, mais aucunement nue. Rappelez-vous, c’était l’époque où un semblant de téton sur le visuel de Game Over faisait hurler les ligues de vertu. Vu le retour de l’ordre moral que l’on se farcit en ce moment, cela peut valoir le coup de se rafraichir la mémoire.
Notons, concernant Barbarian, que si Michael Van Wijk pose en « vraie » tenue de barbare, enfin on va dire un caleçon en peau de bête, Maria arbore pour sa part une sorte de bikini tout à fait charmant mais qui ne semble pas dater de l’âge de pierre. Les bijoux dont elle se pare lui donne certes des allures de princesse, qu’elle a naturellement de toute façon, mais l’anachronisme patent donne tout de même à la scène un côté kitsch parfaitement délectable. Sans parler de la pose lascive de Maria, assise aux pieds du barbare belliqueux. L’image au verso, où elle pose seule avec une épée plus grande qu’elle, rattrape un peu les choses et tempère le machisme ambiant.
Si le barbare que le joueur incarne dans Barbarian ne ressemble que moyennement à Michael Van Wijk, dans la mesure où le premier est blond alors que le second est brun, la princesse prisonnière du sorcier maléfique Drax que notre héros ambitionne de délivrer en enchainant les duels ressemble pour sa part plutôt à Maria Whittaker. Disons en matière de crinière (même si elle devient subitement châtain dans les portages 16 bits ainsi que sur BBC Micro), de silhouette… et de patronyme, puisque nous parlons de la princesse Mariana. Selon les versions du jeu, ses différentes poses varient. Mais dans l’ensemble, force est de constater que le personnage fait de la figuration en mode passif as fuck.
Ce n’est pas la même dans Barbarian II, The Dungeon Of Drax, qui allait sortir en 1988. Cette fois, le joueur se voit offrir la possibilité d’incarner le ou la barbare, et dans le second cas, Mariana se révèle autant capable de manier l’épée que son homologue masculin. Côté visuels, si le kitsch prédomine toujours, Maria Whittaker porte cette fois une tenue qui fait nettement plus penser à une princesse barbare, et apparaît en position de force aux côtés de Michael Van Wijk, posant fièrement par dessus la carcasse d’un monstre en caoutchouc. Soyons clairs : Maria repousse les limites du sex-appeal dans cette tenue, qui rappelle d’ailleurs beaucoup celle de Carrie Fischer en mode esclave de Jabba The Hutt dans Le Retour du Jedi.
Ce qu’il convient de comprendre, c’est que la présence de Maria Whittaker sur les visuels des deux Barbarian n’est pas aussi anecdotique qu’elle en a l’air. Un petit tour d’horizon de la presse jeu vidéo de l’époque, grâce aux sites Abandonware Magazines et Retro Magazine Search, permet de voir que les journalistes rataient rarement une occasion de la mentionner quand il est question de parler du jeu. Dans une interview pour Amstrad Cent pour Cent en 1988, Steve Brown n’échappe d’ailleurs pas à la question : « Quelle est la chose que vous préférez chez Maria Whittaker ? ». Sa réponse : « Son corps, naturellement. De plus, elle est particulièrement jolie ». Sans blague ?
Amstrad Magazine n’attendra même pas la sortie du premier Barbarian pour saliver : dans son édition de mai 1987, une simple photo de Steve Brown en présence des deux modèles suffit pour donner à la rédaction envie de jouer au jeu. La revue Micro Mag, de son côté, juge indispensable de mentionner la « plantureuse brunette » qu’est Maria Whittaker lorsqu’il s’agit de rendre hommage au premier Barbarian. Am-Mag ne peut s’empêcher d’évoquer « les beaux yeux (et le reste) » de Maria pour annoncer Barbarian II, quand Arcades vante les « courbes émouvantes » de la barbare dans sa preview du même jeu. Quant à Micro News… bon, vous irez lire par vous même, on peut difficilement faire plus explicite.
Avec tout cela, évidemment, quelques versions détournées du jeu existe, avec une Maria nettement plus dénudée qu’elle ne l’était originellement. La chaîne YouTube Jim Retro & Nostalgia Show propose ainsi une démonstration de Barbarian sur C64… avec une « naked princess » à la fin, dont je me demande d’où elle sort. Enfin, de la douche, j’imagine. Plus troublant encore, Joystick Hebdo, à l’occasion de son test de Barbarian II, présente des captures d’écran in game où Mariana apparait dans le plus simple appareil. Selon le magazine, c’est Peter Stone (de Palace Software) en personne qui leur aurait fourni cette « version classée X ». Really ? Bon, que l’on se rassure, ça reste du pixel mal fagoté.
Maria Whittaker a donc marqué les esprits… et les mémoires ? Une chose est sûre, je ne suis pas le premier nostal-geek à éprouver l’envie, sinon le besoin, de parler d’elle. Un topic lui est notamment consacré sur le forum Gamopat, lancé en 2016 et encore actif aujourd’hui, tandis que CPCRulez lui a consacré (en des termes pas toujours flatteurs) une page complète. Au-delà du jeu vidéo, Maria Whittaker demeure un sujet de collection, comme j’ai pu m’en rendre compte. Certaines parutions peuvent s’arracher sur Ebay à des prix démentiels, et la seule présence de Maria Whittaker en couverture d’un magazine (ou d’un disque, on va y revenir) suffit souvent à lui donner de la valeur. Presque quarante ans plus tard, Maria fascine toujours.
Maria Whittaker a commencé sa carrière de modèle seins nus pour The Sun… à l’âge de 16 ans. Oui, autres temps, autres moeurs. Auparavant, elle avait participé à de nombreuses compétitions de danse, revendiquant environ 400 trophées. Ses atouts naturels l’ont ensuite dirigé vers la carrière des photos de charme, avec la bénédiction de ses parents. Inutile de tourner autour du pot : la poitrine de Maria, 100D selon ses dires, a assuré sa popularité et n’a pas tardé à devenir une quasi-institution. La modèle en parle librement, confiant que celle-ci a commencé à se développer très tôt, lui valant l’attention des garçons autant que la jalousie des filles. Une jalousie qu’elle allait retrouver quelques années plus tard dans l’univers de la danse… comme des Page Three girls.
Aussi forte soit-elle, la poitrine ne fait certainement pas tout. Maria Whittaker, c’est aussi et surtout un visage angélique, une chevelure bouclée massive, un teint de peau mat qui lui donne des airs de métisse (alors qu’elle assure ne pas l’être) et un sourire à toute épreuve. De quoi faire d’elle une pin-up idéale pour la presse britannique. Les photos de Maria, nue (rarement intégralement) ou habillée, sont innombrables et donnent une idée du rythme de travail auquel elle était soumise. Sans compter ses apparitions façon Miss France lors de différents événements, en Grande-Bretagne mais aussi parfois au-delà des océans. Un exemple ? Son 1er janvier 1988, Maria l’a passé à Mississauga au Canada, à l’occasion d’un salon mondial de motocycles. Ça donne envie.
Si la carrière de modèle de Maria fut aussi riche que fulgurante, elle ne parvint pas à déboucher sur autre chose. Le cinéma ? On compte deux apparitions éclair, dans les films Whoops Apocalypse (1986) et Tank Mailing (1989) où elle joue son propre rôle, et rien d’autre. De plus, le tournage de Whoops Apocalypse, où elle se retrouva seins nue entourée de 400 figurants qui lui lançaient des remarques salaces, lui laissa tout sauf un souvenir agréable, comme elle le raconte dans l’ouvrage biographique Maria !. Ouvrage, au passage, que j’ai lu avec beaucoup de recul, celui-ci étant chapeauté par l’agence de mannequinat à laquelle appartenait Maria Whittaker, Yvonne Paul Management, spécialisée dans les Page Three. Autant dire qu’on y parle peu (ou mal) des choses qui fâchent.
La musique ? Maria s’y est essayé. Elle ne sortira qu’un titre (plus sa face B), Stop Right Now (Take My Number), petite chanson pop pas pire que les autres mais qui fera un bide, et dont elle a confié avoir honte aujourd’hui. Sa pochette est-elle pour quelque chose dans son échec ? Alors que la plupart des chanteuses de variété de l’époque adoptaient un registre résolument glamour, qu’il s’agisse de Madonna ou de Kim Wilde, sans même parler de Sabrina ou (toujours) de Samantha Fox, le disque de Maria Whittaker affiche pour sa part un portrait de son visage en gros plan, dans un noir et blanc très stylisé où le contraste s’amplifie pour donner la part belle aux ombres. Maria ne sourit pas, ou à peine, et son regard profond traduit une forme de douce mélancolie.
La photo est magnifique, c’est même l’une de mes préférées. Mais elle n’a pas beaucoup de rapport avec le thème très pop et très léger de la chanson qu’elle illustre. Le vidéoclip réalisé en soutien au titre, où l’on retrouve par ailleurs le même noir et blanc au contraste très prononcé, joue nettement plus la carte de la sensualité, tandis que les apparitions télévisées dans lesquelles elle interprète son morceau (en playback) permet de découvrir une Maria plus que jamais eighties, manteau de cuir et body décolleté, parfois une grande croix autour du cou. Là encore, une image très éloignée d’une pochette qui donne plus l’impression d’être devant un disque de Léonard Cohen que de Kylie Minogue. Réalisé en 1990, l’enregistrement ne sera même pas édité en CD et n’existe qu’en version 45 tours et maxi 45. À se demander si quelqu’un y croyait vraiment. Pourtant, en 1994, dans une émission matinale sur Channel 3, Maria continue de parler de « sa musique » et même d’un disque en préparation… qui ne verra jamais le jour.
Mais Maria a eu d’autres moments en lien avec la musique. On passera rapidement sur sa présence en couverture de la compilation pop Chartbusters, une simple illustration d’agence où le nom de Maria n’est même pas mentionné, mais qui fait que le disque se vend aujourd’hui assez cher. On notera encore sa participation à l’enregistrement d’une reprise collective de Let It Be, sous la houlette du Sun, pour venir en aide aux familles des victimes du naufrage du Herald of Free Enterprise en mars 1987. Assez logiquement, Maria n’était pas la seule Page Three à participer à l’enregistrement, aux côtés de Paul McCartney, Boy George, Mark Knopfler ou Kate Bush. Enfin, Maria Whittaker interprète (encore) son propre rôle face à Benny Hill dans le clip de Genesis Anything She Does, et c’est à voir !
Après avoir quitté l’univers du mannequinat, Maria Whittaker a épousé le producteur de musique Michael West ainsi que son mode de vie rasta, et les joies et difficultés de la maternité. Aujourd’hui, elle vante (et vend) sur les réseaux sociaux des solutions de nutrition à base de végétaux et de fruits, une activité (accompagnée parfois d’opinions « médicales ») qui laisse perplexe le sceptique que je suis mais que je m’abstiendrai de commenter. Si Maria n’officie plus sous son nom de jeune fille, elle ne cache en aucun cas son passé, ce qu’elle n’aurait aucune raison de faire. Elle s’en est au contraire confiée au Mirror en août 2022, avec une grande franchise. À presque 60 ans (elle est née en 1968), Maria demeure une femme d’une beauté exceptionnelle, mais surtout, et c’est vraiment le plus important, semble épanouie et heureuse. Ce qui me réconforte énormément.
Il me reste un regret : je n’ai jamais lu ou vu Maria Whittaker commenter son passage dans le monde du jeu vidéo, ou la mémoire qu’elle y a laissé. J’ai évidemment essayé d’entrer en contact avec elle, pour lui demander si elle gardait des souvenirs des sessions photos pour Barbarian, ou si elle avait pu mesurer l’impact qu’elle a eu sur les joueurs des années 80, mais mes messages sont restés sans réponse, et je n’ai pas voulu insister au-delà du raisonnable. Le temps passe et nous efface, notre passé s’estompe à mesure, mais reste toujours des souvenirs précieux, et celui de Maria Whittaker, princesse barbare au regard envouteur, figure en bonne place au sein de mon panthéon personnel. Merci, chère Maria, d’avoir partagé votre beauté avec le reste du monde. Je veux croire qu’il ne vous oubliera jamais.
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