Balthazar

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Amis de la poésie, bonsoir !

 

Quoi de mieux pour commencer l’année qu’un billet sur un jeu qui nous propose d’incarner un clochard alcoolique, dont les seuls loisirs consistent à vider des bouteilles, à se battre avec les passants et la maréchaussée, ou à décocher des baffes aux enfants qu’il croise ? Non non, ne me remerciez pas, c’est cadeau, ça fait plaisir !

 

Car c’est bien de cela dont il est question avec Balthazar, le seul « simulateur de clochard » qui ait jamais existé, du moins à ma connaissance. Et si déjà, à la même époque (ou presque), des Leisure Suit Larry ou des Monkey Island permettaient aux joueurs de se mettre dans la peau d’un anti-héros, je crois que rarement des concepteurs ont poussé le bouchon aussi loin.

 

Et je ne parle pas de bouchon par hasard : le seul et unique but dans la vie de Balthazar est bien de s’enquiller le maximum de bouteilles. Des bouteilles qu’il trouve par terre ou en fouillant dans les poubelles. À croire que le Paris de la fin des années 80 n’avait pas tout compris au principe de la consigne.

 

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Viens avec moi faire les poubelles / On pourra trouver des choses très belles !

 

Mais la vie de Balthazar n’est pas de tout repos : la police lui cherche des noises, les enfants l’agressent, les habitants du quartier lui jettent des pots de fleurs, et d’étranges passants nantis de longs manteaux beiges – qui font furieusement penser à des exhibitionnistes – lui tombent dessus dès qu’ils le rencontrent. Notre ami le clochard doit se battre pour survivre, au propre comme au figuré.

 

En somme, Balthazar est une sorte de jeu d’action / exploration, qui ne trouve de fin que lorsque votre personnage succombe sous les coups de ses adversaires. Entretemps, il vous faudra fouiller les poubelles ou ramasser les bouteilles posées à même le sol pour en absorber le contenu avec délectation. Chaque lampée rapporte des points, et le joueur gagne un bonus au bout d’un certain nombre de bouteilles collectées.

 

Au cours de votre périple, vous devrez prendre soin d’éviter la confrontation avec vos ennemis potentiels. La technique ? Soit passer en courant à côté d’eux en espérant les prendre de vitesse, soit se coucher sur le pavé, attendre qu’ils soient passés, et se relever pour reprendre son chemin. Quand les ennemis se déplacent en groupe, les choses se compliquent et demanderont une – légère – dextérité et un – petit – sens du timing.

 

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Hadouken !

 

Mais vous pouvez évidemment prendre le parti d’aller au combat : selon le nombre de bouteilles bues auparavant, la jauge d’énergie de votre personnage pourra s’avérer suffisamment haute pour supporter la confrontation. Cependant, ne vous attendez pas à une tension virile façon Mortal Kombat. Les bagarres se résument à appuyer sur le bouton de votre joystick, et à regarder les deux bonshommes se mettre des baffes jusqu’à ce que l’un des deux soit à cours de vitalité.

 

Les enfants, qui ne payent pourtant pas de mine, se révèleront pour leur part assez chiants. Vous me direz que cette dernière phrase est valable pour les enfants dans la vraie vie et vous aurez raison, mais au moins dans la vraie vie les enfants se prennent rarement pour des ninjas et vous sautent rarement à la gueule pour vous balancer un coup de pied (ou de poing ? les graphismes ne sont pas clairs) dans la figure.

 

Pire encore : ils peuvent même vous faire perdre de précieux points en vous sautant dessus au moment où vous êtes en train de boire une bouteille. Il faut comprendre que l’action d’absorption vinicole de votre personnage se divise en trois goulées, qui rapportent toutes trois des points. Donc, si vous êtes interrompu au milieu de votre première goulée, vous n’obtiendrez pas les points des deux suivantes. Et si coller une baffe à un gosse augmente un peu votre score – comme dans la vraie vie, encore une fois –, cela ne compense pas la perte initiale.

 

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Le drame des enfants ninjas.

 

Il convient donc, là encore, de bien calculer son timing. Vous ne pouvez en effet pas ramasser une bouteille et la garder pour plus tard : la consommation est automatique, et votre personnage n’est pas contrôlable durant son déroulement. Donc, si un enfant se profile à l’horizon, attendez-le pour lui mettre la baffe qu’il mérite ou couchez vous pour qu’il ne vous remarque pas, mais n’essayez pas de boire en sa présence. Y a plus de jeunesse.

 

Ce mouvement consistant à s’allonger par terre pour devenir soudainement invulnérable est sans doute l’une des éléments les plus intéressants du jeu. Pas en termes de gameplay, mais en termes de sens. Il symbolise à lui seul l’indifférence qu’inspirait, déjà, les SDF voilà trente ans. Une indifférence qui se transforme en indignation si le même SDF a le culot d’arpenter nos trottoirs et de se rendre visible à nos yeux outrés. Mais couché sur le sol ou sous un pont, il n’est qu’un élément pittoresque du mobilier urbain. Une silhouette presque sympathique du Paris fantasmé. Et l’on oublie qu’il existe.

 

Car c’est bien d’un Paris fantasmé qu’il s’agit : tout, dans le choix des graphismes, évoque évidemment le joli Paris romantique, celui de Woody Allen dans Tout le monde dit I Love You, avec ses couleurs vives, ses jolis quais, ses jolis maisons, ses jolis lampadaires, et ce personnage de clochard au milieu qui détonne d’autant plus, rappelant le Boudu que campait Michel Simon, ou l’Archimède interprété par Gabin.

 

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66 v’là trois flics !

 

Et puisque l’on parle de graphisme, il faut bien reconnaître que Balthazar est un joli jeu. Cliché ou pas, son ambiance est très bien rendue, et l’on a plaisir à se promener dans ses décors, quand bien même ils finissent par manquer de diversité. Certes, le jeu se vante de proposer « 25 tableaux », mais ceux-ci ne sont jamais que des variations sur le même thème.

 

En revanche, l’architecture de l’écran sort des habitudes et laisse même perplexe. Celui-ci, ainsi que vous pouvez le voir sur les captures d’écran, est divisé en deux, façon théâtre élisabéthain. En bas, le bout de quai où semble résider Balthazar. En haut, le reste du monde à parcourir. Autant dire que cet écran du bas ne sert à rien du tout, puisque toute l’action se déroule dans celui du haut. Métaphore d’un « foyer » serein face au chaos urbain ? Peut-être. En tout cas, cela ne manque pas de poésie. Même si, dans le fond, je me prends probablement beaucoup trop la tête pour un jeu potache.

 

Comme c’est généralement – sinon tout le temps  – le cas avec les jeux Thomson, l’environnement sonore de Balthazar est quasiment inexistant. Un seul son illustrera les baffes échangées au cours des bagarres – et simulera occasionnellement les ronflements de notre clochard – et c’est tout. Le vent, le bruit de l’eau berçant nonchalamment les quais paresseux, la vol futile des pigeons alertes et tout le reste, vous vous l’inventerez vous-mêmes.

 

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Un Paris sublimé.

 

Le joueur aura tout de même droit à deux thèmes musicaux : l’un pour débuter le jeu, un petit indicatif sans prétention, et l’autre en conclusion, en l’occurrence une reprise de « Boire un petit coup, c’est agréable ! » J’en suis à me demander si je ne devrais pas accoler la mention « à consommer avec modération » à cet article…

 

À noter la présence d’un petit « jeu dans le jeu » : lorsque votre personnage finit par succomber, vous le retrouvez en train de jouer à une borne d’arcade. Balthazar vous propose alors un petit jeu d’adresse : vous incarnez une bouteille (décidément) devant éviter des bouchons qui, au fur et à mesure, tombent de plus en vite. Évitez-en cinquante, et vous pourrez continuer la partie. Mais ce n’est pas de la tarte. Cet épilogue, promesse d’une résurrection, a quelque chose d’étrange. Une borne d’arcade, entre deux lampadaires, sur fond de noir absolu. Ça sent le rêve, sinon le purgatoire.

 

Balthazar est à la frontière entre les « petits » jeux et les jeux « moyens ». En matière de gameplay comme d’enjeu, on est clairement dans le minimalisme. Un jeu à points, comme il en existe beaucoup, sans vrai dénouement. Mais son ambiance, ses graphismes et son propos lui confèrent une certaine profondeur, et contribuent à le rendre vraiment agréable à jouer, malgré une maniabilité parfois poussive ou de vrais défauts de précision. Ce n’est pas un jeu sur lequel on restera scotché des heures, mais une ou deux parties de temps en temps s’avèreront distrayantes. Et ce n’est déjà pas si mal.

 

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Sous le pont, avant que tout ne commence…

 

Pour la petite anecdote, en guise de post-scriptum, j’ai joué le jeu en version émulateur pour réaliser ce billet. Et je viens tout juste de recevoir par colis un TO8 acheté sur Le Bon Coin, dont je savais qu’il était vendu avec des disquettes sans en connaître le contenu. Et parmi quelques doublons et quelques petites surprises, voici que le jeu Balthazar était dans le tas.

 

Autant dire que cette chronique était tout simplement prémonitoire, et que je suis probablement un envoyé du Ciel. Ceux qui en doutent sont des mécréants, mais je leur souhaite tout de même une bonne et heureuse année. Parce que le Thomson est amour, et que le Thomsonaute est son prophète.

 

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Même les clochards ont droit à une seconde chance.

 

9 comments

  1. __sam__ dit :

    Les graphismes sont vraiment bien faits pour un mode TO7. La couleur des sprites est même correctement respectée lors des recouvrements grâce à un bon choix des images de fond.

  2. Matthieu dit :

    Une très bonne critique !

    Bravo pour votre site qui permet de (re)découvrir des pépites oubliées, qui malgré les nombreuses années conservent tout leur charme et leur originalité.

    L’occasion de se remémorer les nombreuses après-midis passés, enfant, devant l’écran du TO8D 🙂

  3. Stan dit :

    Les graphismes font penser à Maddog (également de Titus). Je crois qu’il existe sur Thomson.
    J’ai pas forcément connu Balthazar à sa sortie, ayant migré vers le CPC, mais je guettais les sorties Thomson dans les magazines : j’avais tout de même conservé mon MO5, par affection pour la machine.

    En tout cas, bravo pour ton blog qui permet de replonger par nostalgie dans certains jeux possédés ou d’en découvrir d’autres comme c’est le cas avec Balthazar.

    De mémoire, un article lui est consacré dans Pix’N’Love.

    • Le Thomsonaute dit :

      Bonjour Stan, en effet je viens de vérifier et le numéro 11 de Pix n Love a visiblement fait un papier dessus. Je tâcherai de me le procurer. Merci pour l’info, ainsi que pour tes encouragements ! 🙂

  4. __sam__ dit :

    Un autre jeu (tout en basic) avec un dessin de très bonne qualité => « Les mutants » http://dcmoto.free.fr/programmes/les-mutants/index.html

    • Le Thomsonaute dit :

      Bonjour Sam, oui je n’ai pas connu ce jeu étant enfant et il titille ma curiosité, d’autant que j’ai pu le trouver en version disquette. Une découverte n’est donc pas exclue, merci pour la piqûre de rappel ! 🙂

      Le prochain billet du Thomsonaute (quand je trouverai le temps de le rédiger) portera cela dit sur une simulation de voiture. Mais je n’en dis pas plus ! 😉

  5. Bonjour,

    Merci beaucoup pour le test de Balthazar.

    Je l’auteur du jeu en tout cas pour la partie programmation, Olivier Coriole est le graphiste, comme tous les jeux Titus et adaptation de 1986 a 1989.

    Le jeu à été programmé en 4 semaines à la fin 1986. Il est bien sur écrit entiérement en assembleur. ( Motorola 6809 )

    Merci beaucoup dans tous les cas pour cette article.

    2017… 30 ans déjà….

    Alain Fernandes
    http://www.inthepockets.com

    • Le Thomsonaute dit :

      Bonjour, merci pour ce retour, c’est un vrai plaisir pour moi de savoir que le programmeur d’un des jeux testés ici a pu lire l’article. Et cela d’autant plus que Balthazar, bien que méconnu, a marqué mon imaginaire d’enfant et de par l’originalité de son propos et son humour noir revendiqué. Merci également pour le lien vers votre site. 🙂

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